Le "sang impur" du peuple français ??

Depuis 2006, de nombreux médias (Internet, télévisions, radios et personnalités) diffusent l'idée que le "sang impur" de la Marseillaise serait celui du peuple français, et cette théorie est aujourd'hui défendue par l'un de nos plus célèbres politologues, et même dans nos écoles (cf le film « La Marseillaise, l'Eternel chant de bataille », de Mathieu Schwartz).

Si cette expression avait bien ce sens avant la Révolution, cette théorie ignore qu'après 1789, les Révolutionnaires se sont logiquement désignés de "sang pur" et ont retournés l'expression "sang impur" sur leurs ennemis.

Cette confusion entre les conceptions pré-révolutionnaires et révolutionnaires est régulièrement dénoncée par tous les historiens compétents :

« Le «sang impur» fait référence au sang des rois et des aristocrates, pas des peuples étrangers » Patrice Gueniffey (Le Figaro, 14/5/2014)

« Une interprétation aussi fausse que dangereuse, parce qu'elle nourrit la confusion des esprits, court à propos de l'expression "sang impur" dans la Marseillaise pour faire de ce sang impur celui des "révolutionnaires", du "peuple" sacrifié pour la bonne cause. Les textes de l'époque démentent catégoriquement cette vision sacrificielle et a-historique. Il faut assumer son passé. » Jean-Clément Martin, ancien directeur de l'Institut d'Histoire de la Révolution Française (blogs.mediapart.fr/jean-clement-martin 10/1/2016)

« C'est une explication, fausse, farfelue, créée... par un jeune professeur de lettres qui a voulu faire l'intéressant... le « sang impur», ce sont les ennemis de la liberté, de la Révolution. » Bernard Richard, auteur de "Les emblèmes de la République" (Les GG veulent savoir: Benzema : "La Marseillaise appelle à faire la guerre" - BFMTV 18/04/2018, 6°mn) (L'obs, 14/5/2014)

C'est encore ce que montre l'étude particulièrement documentée de Jean Méron « Les symboles de la République, Du chant de guerre de l'armée du Rhin à la Marseillaise », (p 69 à 207), ou ce qu'a montré le colloque de 2016 sur la Marseillaise, où tous les historiens partageaient cet avis (même si certains historiens, non spécialistes de la période, avaient pu, par mégarde, recopier trop rapidement une théorie qui semblait séduisante). On pourra lire en particulier "De l'évidence de qui appartient "ce sang impur"" par Pierre SERNA, ou ce propos de l'historien Bernard RICHARD sur un forum :

"Le faux sens ou contre sens sur le sang impur est un étrange phénomène : lancé en 2003 par Frédéric Dufourg, fin analyste littéraire sans formation historique, et sans aucun fondement documenté, il tient bon depuis lors bien que réfuté drastiquement par exemple par les trois derniers directeur de l'Institut d'histoire de la révolution française (universite de Paris 1 Panthéon-Sorbonne), Michel Vovelle, Jean-Marie Martin et Pierre Serna. C'est une interprétation aberrante diffusée et amplifiée par une pratique « réseaux sociaux ». Aujourd'hui, bien que réfutée par les historiens universitaires sérieux ayant la connaissance et la pratique des textes de l'époque révolutionnaire, elle continue à se diffuser. Récemment une de mes connaissances solidement documentée a eu la surprise (mais est-ce vraiment une surprise, de l'entendre utilisée comment une évidence par deux hautes personnalités politiques, une ministre et énarque de formation, l'autre chef d'un parti politique d'ampleur nationale et de formation universitaire. Ainsi vogue la galère. Certes on sait d'expérience qu'il faut souvent plusieurs décennies, voire une génération pour que les avancées de la recherche historique atteignent le grand public, donc « laissons pisser le mérinos » peut-on dire vulgairement. B Richard, un peu lassé de tenter, visiblement en vain, de « redresser la barque » sur ce site..."

D'autres citations :
" Le sang qui coule était-il donc si pur ? » Barnave, le 22 juillet 1789, après que la foule eut tué et promené dans Paris les têtes tranchées de Launay (gouverneur de la Bastille qui avait ouvert les portes à la foule) et Flesseles, prévôt des marchands, le 14 juillet, puis de l'intendant de Paris Bertier de Sauvigny et de Foulon, accusés d'affamer le peuple, le 22 juillet.

« N'immolera-t-on pas à leurs mânes impatientes ces Calonne , ces Breteuil , ces Briennes, [aristocrates et ministres de Louis XVI], etc... dont le sang impur n'expiera jamais les larmes qu'ils nous ont fait verser [...] Jamais , nosseigneurs, votre regénération ne sera complète si vous ne purgez la France de ces vampires affamés ». Adresse aux Etats Généraux de 1789. Cité dans « Histoire des Etats Genéraux, convoqués par Louix XVI le 27 avril 1789″, Volume 7.

« Osez maintenant vous présenter sur nos frontières, princes germains, monarques ibériens, souverains de l'Etrurie, et vous aussi puissances maritimes! [...] Craignez tout de gens que les lauriers de la gloire et le myrte des plaisirs , que les bénédictions de la patrie et toutes les faveurs de la beauté attendent, s'ils rentrent chez eux, teints de votre sang impur! Craignez tout de gens qui savent calculer. Et quel est le patriote dont l'aine ne s'exalteroit pas à cette idée : quelques gouttes d'un sang corrompu , mêlé peut-être au mien , suffiront pour éteindre la torche de la guerre." Journal "Révolutions de Paris", Octobre 1790

« Avons-nous abattu à nos pieds la ligue autrichienne? Nos frontières sont-elles humectées du sang impur de ses satellites? », Louis-Marie Fréron, novembre 1790

« Le peuple de France a détrempé de sang les fondements de la liberté; mais il a été juste dans le choix de ces victimes: ce sang était impur, et la terreur que ces exécutions ont inspirée a prévenu une foule de meurtres. » Dans « Anecdotes curieuses et plaisantes relatives à la révolution de France » publié en 1791.

« Législateurs, des femmes patriotes se présentent devant vous pour réclamer le droit qu'a tout individu de pourvoir à la défense de sa vie et de sa liberté... si, par des raisons que nous ne concevons pas, vous vous refusiez à nos justes demandes... elles mourront, en regrettant, non la vie... mais l'inutilité de leur mort, en regrettant de n'avoir pu, auparavant, tremper leurs mains dans le sang impur des ennemis de la patrie"
Adresse individuelle à l'Assemblée nationale, par des citoyennes de la capitale, 6 mars 1792, Archives parlementaires,Tome 39, p. 424

« Il faut que son sang impur efface jusqu'à la dernière trace de la royauté » Hébert dans le Père Duchesne (lors de l'assaut des Tuileries le 10 août 1792)

« C'est au Dieu des armées que nous adressons nos vœux ; notre désir est d'abreuvernos frontières du sang impurde l'hydre aristocrate qui les infecte ; la terreur est chez eux et la mort part de nos mains. » Lettre de volontaires du 3e bataillon de la Meurthe, lue au conseil municipal de Lunéville, 10 août 1792

« Il faut que son sang impur efface jusqu'à la dernière trace de la royauté » Hébert dans le Père Duchesne (lors de l'assaut des Tuileries le 10 août 1792)

"Que la tête de Louis XVI et de sa complice tombe en présence de sa famille, que nous obligerons à changer de nom, afin qu'il ne reste pas plus de traces de la dynastie régnante jusqu'au 10 août, qu'il n'en reste de la royauté. Que cette exécution solennelle, urgente et nécessaire soit suivie de celle de tous les complices et agents du feu roi [...] Mais surtout gardons-nous de suspendre plus longtemps ou d'arrêter le cours de la justice; c'est encore du sang à répandre, mais ce sang impur ne tarderait pas à remettre la patrie en danger s'il circulait encore dans ses veines." Journal "Révolutions de Paris", 11 août 1792.

« Cette partie de la République française présente un sol aride, sans eaux et sans bois. Les Allemands s'en souviendront; leur sang impur fécondera peut-être une terre ingrate, qui en est abreuvée. » Discours du général Dumouriez à la Convention, octobre 1792

« J'ai démontré la nécessité d'abattre quelques centaines de têtes criminelles pour conserver trois cent mille têtes innocentes, de verser quelques gouttes de sang impur pour éviter d'en verser de très-pur, c'est-à-dire d'écraser les principaux contre- révolutionnaires pour sauver la patrie. » Jean-Paul Marat, Journal de la République française, le 7 novembre 1792.

« Les rois cimentèrent le despotisme par l'effusion injuste du sang des peuples ; il est temps que la liberté des peuples soit consolidée par l'effusion du sang impur des rois. » Discours sur le jugement de Louis-le-dernier, par Jacques Roux, 1792

"Le sang impur des satellites d'un despote eût plutôt souillé l'éclat de vos armes, que d'ajouter à votre gloire" Archives parlementaires, 21 novembre 1792, tome 53, p. 538

En 1792, plusieurs pétitions, comme celle-ci du citoyen Ducalle, furent adressées à la Convention pour que la France reprenne le nom de Gaule :
" CITOYENS ADMINISTRATEURS,
Jusques à quand souffrirez-vous que nous portions encore l'infâme nom de Français ? Tout ce que la démence a de faiblesse, tout ce que l'absurdité a de contraire à la raison, tout ce que la turpitude a de bassesse, ne sont pas comparables à notre manie de nous couvrir de ce nom.
Quoi ! Une troupe de brigands (les Francs conquérants) vient nous ravir tous nos biens, nous soumet à ses lois, nous réduit à la servitude, et pendant quatorze siècles ne s'attache qu'à nous priver de toutes les choses nécessaires à la vie, à nous accabler d'outrage, et lorsque nous brisons nos fers, nous avons encore l'extravagance bassesse de continuer à nous appeler comme eux !
Sommes-nous donc descendants de leur sang impur ? À Dieu ne plaise, citoyens, nous sommes du sang pur des aulois !"
(d'après
André Waroch)


« J'ai vu des hommes qui n'ont d'autre moyen de soutenir ou d'avoir une réputation de révolutionnaire qu'en ne respectant plus ni lois ni principes. C'est cette classe d'hommes qui persécutent l'innocence et impriment la terreur à tout ce qui respire. C'est un de ces hommes impurs qui aura dénoncé Viennol, qui me dénoncera peut-être aussi. » Robespierre, 6 ventôse, 2è Rep

« C'est être juste et humain que de verser quelques gouttes de sang impur pour éviter de répandre le sang pur à grand flots. » Jean-Paul Marat

"la nation française, toujours généreuse et magnanime, ne veut pas souiller son territoire du sang impur d'un roi" 7 janvier 1793, Archives parlementaires, tome 56, p. 526

« Matière à réflexion pour les jongleurs couronnés. Qu'un sang impur abreuve nos sillons.» Légende d'une aquatinte sur papier de L. Villeneuve, représentant la tête dégoulinante de sang de Louis XVI décapité, 1793

"... en ménageant le sang impur qui coule dans leurs veines" en parlant des "hommes pervers" qui "excit[ent]er les troubles" , intervention de Vergniaud dans "Le procès de LouisXVI", Albert Soboul, page 209, folio Histoire.

"Le sang des patriotes se mêlera avec le sang impur des mauvais citoyens"
15 janvier 1793, Archives parlementaires, tome 57, p. 308

« Sachez que vous ne ferez pas de révolution sans répandre du sang ; mais un soldat répand le sang avec tout le calme possible. Il faut établir le machiavélisme populaire ; il faut faire disparaître de sur la surface de la France tout ce qu'il y a d'impur ; sans cela vous ne serez que des enfants ; les modérés calomnient les amis du peuple... »
Discours d'un député extraordinaire de la société des Jacobins de Lyon, convention, séance du 15 mai 1793

« Les restes du sang impur des rois doivent couler sur l'échafaud. La soeur de Capet [c'est à dire Louis XVI] doit être jugée par un tribunal révolutionnaire ».
Jacques-René Hébert, 13 novembre 1793.

« Eh bien, foutre, il n'en coûtera pas plus pour anéantir les traîtres qui conspirent contre la République. La dernière heure de leur mort va sonner; quand leur sang impur sera versé, les aboyeurs de l'aristocratie rentreront dans leurs caves comme au 10 août. » Jacques-René Hébert, Le Père Duchesne 1793

« Vengeance est notre mot d'ordre que nous adoptons jusqu'à ce que les scélérats [les insurgés de Lyon] soient soumis et que leur sang impurait lavé leur félonie. »
Boisset à des unités de la Convention, pendant l'insurrection de Lyon en 1793

« Les Constitutionnels virent dresser pour eux les guillotines qu'ils avoient imaginées, fabriquées, élevées pour les royalistes : leur sang impur coula sans honneur : il n'excita ni regret ni pitié » Antoine Francois Claude Comte de Ferrand - 1793

« La Patrie ... vous confie le commandement d'une armée Républicaine... C'est à vous qu'est réservée la gloire d'achever de les exterminer. Frappez simultanément et frappez sans relâche jusqu'à ce qu'enfin cette race impure soit anéantie. »Billaud-Varenne, Barère.(12 décembre 1793,à un général en mission en Vendée)

« Oui, nous osons l'avouer, nous faisons répandre beaucoup de sang impur, mais c'est par humanité, par devoir...» Lettre de Fouché à la Convention, 27 décembre 1793, cité d'après A. GERARD, Par Principe d'humanité..., Paris 1999, p. 25.

"Citoyens, l'anniversaire de la mort du tyran est un jour de gloire pour le peuple français, et un jour de deuil et de terreur pour les tyrans et leurs suppôts ; ce jour mémorable annonce le réveil des peuples asservis. La massue révolutionnaire est prête à écraser ces monstres, et l'arbre glorieux de la liberté ne périra point quand leur sang impur en aura humecté et fortifié les racines." Discours de Vadier à la Convention, 21 janvier 1794

« Nous sommes ici à exterminer le restant des chouans, enfouis dans des bois ; le sang impur des prêtres et des aristocrates abreuvent donc nos sillons dans les campagnes et ruisselle à grands flots sur les échafauds dans nos cités. Jugez quel spectacle est-ce pour un républicain animé, comme je le suis, du plus pur amour du feu le plus sacré de la liberté et de la patrie qui brûle dans mes veines. »
Lettre de Cousin à Robespierre, à Cossé le 27 nivôse an II (16 janvier 1794).

« Patriotes, réjouissons-nous (bis) L'armée d'Mayence est avec nous (bis)
Elle est v'nue nous aider à purger la Vendée

Dansons la carmagnole, Vive le son, vive le son etc

Oui dès demain nous commençons (bis)

C'est pour arroser nos sillons (bis)
que le sang des brigands va couler à l'instant »
Carmagnole de la Vendée,
destinée aux soldats républicains combattant en Vendée.

« Quel espoir peut rester à l'empereur et au roi d'Espagne depuis que la justice nationale a scellé la liberté française par le sang impur de ses tyrans ? »
Billaud-Varenne, 20 avril 1794

« Vous venez de frapper du décret d'accusation des députés arrêtés le 12 germinal et le 1er prairial : par quelle funeste indulgence, en frappant les complices du triumvirat, avez-vous épargné les criminels qui le composaient, Collot d'Herbois, Billaud -Varennes et Barère ? Vous les avez condamnés à la déportation, mais ce décret ne s'exécute pas ; et d'ailleurs avez-vous le droit de souiller une autre terre d'un sang aussi impur?» Rouyer, Journal des débats et des décrets, Volume 66, 1795


On trouve même des pamphlétaires royalistes, voulant dénoncer le décalage entre les idéaux généreux proclamés et la violence du lynchage d'aristocrates, utiliser eux aussi, par ironie, l'expression « sang impur » en parlant des aristocrates :

« Nous avons été assez heureux pour annoncer à l'Europe étonnée, avec quelle rapidité les droits de l'homme se sont propagés d'une extrémité du monde à l'autre. La gloire de nos législateurs a passé les mers sur les ailes du vent, & M. Ferrand de Baudieres, sénéchal du petit Goave a déjà subi l'application des grands principes de M. Barnave. Son sang impur a coulé, sa tête aristocratique a été promenée par les blancs. ».
Jean-Gabriel Peltier, Les actes des apôtres, 1790

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